Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Bulle Océan
Archives
28 mai 2010

Souvenirs

proustIl est des souvenirs qu'on croyait perdus. De ceux qu'on avait oubliés, totalement. Du moins le croyait-on. Où étaient-ils cachés, pendant toutes ces années ?
J'aime la façon dont ils ressurgissent à l'improviste. Bien souvent, les sens interviennent, et font travailler la mémoire, réveillent quelque chose dans la pensée, la réflexion. Il y a cette connection particulière, unique, entre le physique, et le mental.

J'ai lu Proust, il y a longtemps. Je l'ai même étudié à la FAC. Mais je trouvais ça... long, très long. Ceci dit, l'histoire de la madeleine m'a en fait marquée, sans que je réalise vraiment. Je suppose qu'on a tous nos madeleines. Moi, j'en ai quelques-unes de marquantes, touchantes, émouvantes, parfois éprouvantes.

Ces souvenirs qui nous heurtent presque, qui nous retournent en un instant, nous envoient dans un autre monde. Une autre époque. On est ailleurs.

Comment ça marche ? Qu'est-ce qui fait que c'était oublié, mais en fait non ? Quel processus pour que ça revienne ? Je trouve ça fascinant.

. o O ° O o .

Il y a deux ans, je suis partie quelques jours en vacances dans le Tarn. J'y ai visité une ville, et son chateau. Il faisait beau, c'était l'été. Robes légères, nus pieds, soleil et fleurs. Je me baladais dans le jardin de ce petit chateau, quand j'ai été happée par un parfum. Je n'ai pas compris de suite ce que c'était, mais en moi, une connection a été faite : je me suis revue petite fille dans le jardin de mes grands parents, en Angleterre. Le jardin de "devant", celui avec les petits par-terres de fleurs. J'aimais en faire le tour, courir dans les petits chemins de gazon. Tout était si bien entretenu, tout était si fleuri. J'ai revu la rue, ses arbres, les maisons en briques rouges, le hall d'entrée de la maison, avec le vitrail sur la porte bleue, la grosse poignée ronde en laiton, bien souvent avec un chiffon dessus pour la faire briller...

Et j'ai réalisé ce jour-là que les pensées avaient un parfum. Celui que je venais de retrouver là, dans ce jardin français. Jamais, enfant, ado ou même étudiante, je n'avais réalisé ça. Cette odeur était mêlée au reste des fleurs, de la rue, de la maison, du jardin ensoleillé... jusqu'à ce que mes sens en éveil ce jour-là isolent le parfum de la pensée.

        Troublante coïncidence que ça ait été une pensée... 

pensee_coeur
Voir le magnifique site Naturepixel.

. o O ° O o .

Ces quinze dernières années, j'ai très peu vu mes grands-parents, la distance n'aidant pas. Les études, la vie de couple, le mariage, un bébé... J'ai toujours regretté de les voir si peu. Maintenant, ils sont morts tous les deux, loin de moi. Jamais plus je ne reverrai cette si belle maison que j'aimais tant. Je n'aurai plus l'odeur des pensées. Je garderai le parfum de mes pensées. Mes souvenirs.   

gardenaJe n'ai que des "photos" dans ma tête. Les couleurs, les odeurs, les bow-windows, l'escalier, le potager, la serre, l'odeur du charbon quand on sortait derrière.

Une partie de mon enfance est partie il y a quelques mois, quand la maison a été vendue, vidée, modifiée... et ça me rend triste.
..
      Se dire "c'est fini, ça ne reviendra pas, je ne revivrai jamais ça"...

. o O ° O o .

Il y a quelques temps, j'étais au téléphone avec ma mère. Et chez elle, une horloge a sonné huit coups. Et je suis repartie pour une danse de sensations, de sons, d'émotions. Enveloppée par les souvenirs, bercée par mon enfance, il n'y avait plus que ça, ce son, et la voix de ma mère était lointaine, oubliée.
Cette horloge, je l'avais oubliée, et je ne savais pas que ma mère l'avait ramenée. Je n'y avais jamais fait attention. Quand ma mère est partie là-bas vider la maison, elle m'avait demandé si je voulais garder quelque chose. Je n'avais pas trop su quoi répondre. Forcez-vous à vous rappeler ce que vous aimiez dans une maison que vous n'avez pas vu depuis des années... A se forcer, rien ne revient.

       Et là, ces huit coups m'ont paru une éternité.
                        Et les larmes me sont montées aux yeux.

Un : faire ressurgir les souvenirs.
Deux : le lieu, la salle à manger, les meubles, la moquette au sol, le côté cosy.
Trois : la luminosité, les rideaux, le soleil qui gênait mon grand père régulièrement.
horloge1Quatre : l'odeur de la cuisine, l'odeur de ce que ma grand-mère faisait à manger, ses pommes de terres rôties, le jambon grillé, les petits pains frais, tous les légumes du jardin... Et l'odeur de la maison. Non, LES odeurs de la maison.
Cinq : ma grand mère, que je revois affairée devant ses fourneaux, ou près de ladite horloge, en train de mettre ses boucles d'oreilles, par exemple. Ma petite grand-mère toute douce et gentille... Elle me manque. Mon grand père, en train de se raser à l'ancienne au dessus de l'évier, avec le blaireau, la mousse, un miroir rectangulaire.
Six : la maison, en entier. Tous ces escaliers étroits recouverts de moquette, tous ces demi-niveaux, et trois étages en tout. La chambre tout en haut, sous les toits, qui servait de jardin d'hiver, là où je travaillais pour mes examens.
Sept : la rue, les briques rouges, les arbres tout le long, le quartier, et la ville même, si jolie.
Huit : les voix dans la maison, les discussions, les émissions favorites de ma grand mère à la radio, l'accent anglais, la complicité avec mon oncle...

..

En flottant sur les courants de ces souvenirs-là, d'autres bulles ont refait surface.

Je ne comprends pas vraiment comment la mémoire, le cerveau, peuvent recréer des parfums. Mais si je me concentre, j'ai vraiment l'impression de retrouver en moi certaines odeurs : l'autre jour, dans ma salle de bains, parmi les parfums de gel douche, shampooing, soin pour les cheveux, déodorant, j'ai retrouvé les notes du savon de chez mes grands-parents, une fraction de seconde, détaché du reste. J'ai revu la salle de bains, la vitre opaque, le froid du matin, la buée, le bruit des robinets, le parfum des baisers à ma grand-mère, son parfum, quoi... puis d'autres fragrances me sont revenues : le papier parfumé recouvrant le fond des tiroirs dans les chambres...

Parlant de chambres, ma mère m'avait ramené des échantillons de parfums vides, de là-bas, dans leurs boites d'origine. En respirant les emballages, j'ai retrouvé les odeurs des chambres, j'ai sû dire dans quelle coiffeuse était quel flacon. Troublant, d'être téléportée instantannément à tant de kilomètres...

. o O ° O o .

Changeons de lieu, mais gardons le lien olfactif, celui qui connecte mon présent et mon enfance.

immortelleJ'aime respirer mon homme dans le cou, fermer les yeux et respirer sa nuque en gardant mes lèvres posées sur sa peau, juste au dessous des cheveux. Sentir sa chaleur irradier sur mes joues. C'est sensuel, érotique, rassurant, doux... un subtil mélange de sensations et d'émotions, encore une fois. J'aime son cou, à la fois viril et délicat, j'aime sa peau, là, tendre et tiède... et j'aime son parfum. Son odeur rien qu'à lui. J'aime la petite pointe que font ses cheveux sur la nuque, j'aime les petites mèches qui se recourbent derrière les oreilles. J'aime quand il rejette sa tête en arrière, allongé sur le dos, quand nous faisons l'amour... il m'offre ainsi sa pomme d'adam à caresser, embrasser. Son cou à mordiller. Je suis fascinée, et je ne sais pas trop dire pourquoi.

Mais je m'égare.

Une nuit, allongés sur les draps, lui sur le côté, moi derrière lui. Je me sniffe à ma drogue, à l'odeur de sa peau. Et ce soir-là, une note particulière, mélangée au reste. Il m'a fallu un petit moment, avant d'arriver à vraiment l'isoler, et surtout retrouver ce que c'était. Respirer calmement, profondément... Se laisser envahir. Enfance, encore, toujours. Un mélange de laisser-aller et de concentration. Des bribes de sensations, des images floues, qui reviennent. L'eau. L'océan. Le sable, les dunes, et cette petite fleur jaune qui poussait encore abondamment à cette époque-là. Et je me suis revue, je n'avais même pas 7 ans, revue en train d'apprendre à nager entre deux vagues...  J'ai revu l'escalier de bois qui descendait la dune. Le jardin de la maison qu'on louait chaque année. La lampe en forme de voilier (qui reste immense dans mon souvenir). Le petit pont à côté du lotissement. Un jour, j'ai vu une maman poule et ses poussins. :)
C'était il y a trente ans.

Cette petite fleur jaune qui garde son aspect et son odeur, même une fois séchée, c'est une immortelle des dunes.
          Joli, non ?
..

Publicité
Commentaires
C
Oui, cela m'arrive parfois, surtout quand j'essaie de faire remonter un souvenir. J'ai l'odeur, la lumière, des couleurs et des sons, le tout en synesthésie. Sinon pas trop d'hallucinations, je prends ma petite pilule le soir (pas la bleue, non, malheureuse !). :D<br /> <br /> Mais de rien !!!!<br /> Merci à toi.
B
Merci beaucoup à vous toutes.<br /> Cet article, je l'avais en tête depuis un moment...<br /> <br /> Et ça vous arrive, à vous aussi, en vous concentrant, d'avoir l'impression de retrouver des parfums, de les recréer en vous, sans qu'ils soient là pour autant ? <br /> <br /> @ CHUT ! : merci beaucoup à toi. Sincèrement. Il faut que j'aille répondre sur ton blog, que je recommande... :)
C
Bonjour, premier article que je découvre et...arf, bingo. La mémoire olfactive est d'une puissance telle qu'elle nous happe et déverrouille des images enfouies, très loin, les restitue avec une précision quasi photographique. Comme si la mémoire était une plaque sensible dont le révélateur était l'odeur, la fragrance, le bouquet.<br /> Parfum de maison, de grand-mère, d'enfance, de petits riens qui forment un tout. En te lisant j'ai eu les larmes aux yeux. Merci.
L
Ah oui, très sympa ce petit voyage olfactif :-) Ça me donne envie d'aller faire un tour chez ma grand-mère, j'ai de la chance, elle est encore là on va en profiter :-)
L
Merci pour le lien des photos !! j'adore !
Bulle Océan
Publicité
Bulle Océan
Derniers commentaires
Newsletter
Publicité